Le projet

La mémoire des quartiers de villas

L’objectif de ce projet – à but non-lucratif – est de conserver la mémoire des quartiers de villas avant qu’ils ne soient détruits à faveur de la densification du canton de Genève. Dans les faits, cela consiste à prendre ces maisons ordinaires en photo, une par une, leur accordant ainsi une place dans l’histoire du bâti et ainsi qu’au sein du patrimoine urbain genevois.

 

Les quartiers de villas – ou « îlots » – mis à l’honneur par ce projet sont des zones – souvent un peu cachées au-delà des grandes artères – de maisons individuelles ordinaires. Elles n’ont a priori pas de particularité ni historique, ni architecturale. Toutefois, ces maisons témoignent d’une certaine époque et d’un certain mode de vie.

 

C’est par des photos reliées à des cartes mettant en lumière le développement urbain, ainsi que par le recueil de témoignages des habitant·e·s de ces quartiers de villas, que ce projet va ainsi tenter d’en conserver la mémoire.

Déroulement du projet

Origines du projet

  • J’ai grandi dans un quartier de villas et j’ai vu de nombreuses maisons détruites dans l’indifférence. Cela m’a toujours rendue un peu triste.
  • J’ai fait des études en histoire et la sauvegarde de la mémoire ordinaire me tient à cœur. Le magnifique et ambitieux projet de Nelly Monnier et Eric Tabuchi “Atlas des régions naturelles” mené en France m’a grandement inspirée quant à la forme du présent projet.
  • J’avais envie de me lancer dans un projet qui allait me faire faire des photos, les éditer, construire un site web, rencontrer des gens… et contribuer à la conservation du patrimoine genevois.

Repérage des îlots

C’est autant à vélo en me déplaçant à Genève qu’en scrutant les cartes du canton que j’ai repéré les différents îlots. Globalement, les premiers îlots sont photographiés à proximité de mes trajets quotidiens.

Photos et édition

Je photographie les maisons depuis l’extérieur des propriétés (sauf autorisation des propriétaires) et à la belle saison, c’est-à-dire lorsque les arbres ont des feuilles. Si souvent ces derniers dissimulent les maisons, ils sont incontournables dans le paysage typique des quartiers de villas et représentent une grande richesse en termes de biodiversité.

 

Les photos prises ont la volonté de rendre compte de la réalité qui n’est pas forcément toujours élégante ou charmante, elles incluent donc parfois du mobilier urbain et du désordre !

 

Le choix du format carré est influencé par les réseaux sociaux mais pas uniquement. En effet, je trouve ce format ludique : il permet plus aisément de prendre des photos “frontales” tout en composant avec les couleurs et les éléments entourant les villas. C’est ce jeu de composition qui influe le plus le cadrage.

 

L’édition des photos ne dépend ni de la saison, ni de la météo, mais c’est la partie la plus délicate de ce projet, étant donné l’ampleur des possibilités d’édition des logiciels actuels et le peu d’expérience que j’en ai. J’ai donc opté pour un “preset” de WithLukeStudios afin d’uniformiser en légèreté  l’identité visuelle du projet.

Rétrospective historique

Il est parfaitement fascinant d’observer la ville et ses quartiers évoluer par cartes interposées, de réaliser que des cours d’eau ont été canalisés pour laisser la place à une autoroute, mais qu’à l’inverse certains endroits ont gardé leur même appellation depuis plus d’un siècle !

 

Les commentaires se basent sur mon observation des cartes choisissant les plus pertinentes parmi toutes celles qui sont disponibles sur Swisstopo, afin de raconter l’histoire de l’îlot en question.

 

Si vous constatez des erreurs ou des imprécisions, faites-m’en volontiers part ici.

Recueil des témoignages

L’étape ultime du projet est de rencontrer les habitant·e·s afin de recueillir l’histoire de leur maison, l’évolution de leur quartier et leur expérience de la vie en villa. 

 

Les trois questions suivantes guident les rencontres :

  • Pouvez-vous me raconter l’histoire de votre maison ?
  • Comment votre quartier a-t-il évolué depuis votre arrivée ?
  • Pourquoi aimez-vous vivre dans une villa

Si vous souhaitez partager votre témoignage, vous pouvez me contacter ici.

Entre zone 5 et zone 3 : les enjeux d'une densification differentiée

La stratégie de densification du canton de Genève suit les directives de la Confédération, c’est-à-dire prioriser la densification des zones déjà bâties, dans une optique, d’une part, d’optimisation de ces zones déjà urbanisées et, d’autre part, de préservation de l’espace rural. Cette logique d’« urbanisation vers l’intérieur » est d’autant plus forte étant donné que le territoire du canton de Genève est exigu et que la sauvegarde d’une « ceinture » agricole et forestière – de nature – avant la frontière avec la France est un élément clé du plan directeur cantonal.

 

La stratégie de densification vise donc avant tout les zones d’habitations individuelles ou villas, qui représentent approximativement la moitié de la surface à bâtir du canton tout en hébergeant qu’un dixième de la population genevoise. Afin de structurer le processus de densification, le plan directeur cantonal a prévu la délimitation du territoire en différentes zones d’affectation, correspondant chacune à différents rythmes et objectifs de densification.

 

Ce sont principalement les zones 5 et 3 qui abritent les habitations individuelles et dont le plan directeur décide ainsi de leur destinée :

La « zone 5 » englobe la majorité des zones de villas et ce statut leur octroie une protection toute relative en fonction d’où elles se situent. En effet, la densification y est autorisée et encouragée de manière « spontanée » grâce à l’introduction en 2013 de l’article 59 al. 4 de la LCI (qui permet l’augmentation de l’indice d’utilisation du sol (IUS, ratio limite entre la surface de sol bâtie et non-bâtie) sans pour autant induire un changement de zone). Cela permet notamment à des personnes propriétaires d’une villa dotée d’un grand jardin d’y construire une seconde maison. Grâce à ce genre d’initiatives individuelles, la densité de ces quartiers est ainsi augmentée, mais pas coordonnée.

 

On trouve également des zones de maisons individuelles dans la « zone 3 » qui est, elle, destinée à une densification intense, c’est-à-dire des immeubles d’habitations ou d’autres bâtiments à usage commercial ou industriel. Les maisons comprises dans la zone 3 sont donc les plus menacées car elles se trouvent dans des secteurs stratégiques en termes du développement urbain au niveau cantonal, par exemple, à proximité des axes de transports publiques où d’une centralité secondaire déjà établie. Ce sont, dans certains cas, des zones déjà « mitées », où certains propriétaires ont déjà vendu leur terrain ce qui a déjà permis la construction d’immeubles, alors que certains autres « résistent », formant des « Îlots de villas ».

 

Au fil de la construction des grandes infrastructures publiques telles que les lignes de tram ou le développement de centres d’activités commerciales et/ou industrielles, certains secteurs de la zone 5 sont déclassés en zone 3. Cela se fait toutefois en plusieurs étapes, dont la suspension des dérogations octroyées par l’article 59 al. 4 de la LCI qui empêche ainsi les propriétaires de densifier leur terrain de manière « spontanée ». Une fois, la modification de zone officialisée, il faut encore que les propriétaires vendent pour que les maisons commencent à être détruites, les arbres abattus et finalement les immeubles d’habitations construits.

Anecdote fondatrice

Quand j’avais 8 ans, mes parents ont acheté une maison datant de 1931, à Onex. Pour me rendre à l’école, je longeais la rue de Bandol (anciennement Avenue du Gros-Chêne), pour arriver à Onex-Parc, vaste école aux pieds des immeubles. Au fil des années scolaires, j’ai assisté à la transformation de ce bout de quartier : progressivement, les volets se sont fermés définitivement et les jardins ont été laissés à l’abandon avant que finalement les pelles mécaniques achèvent le travail et fassent table rase. Ainsi, la partie de l’Avenue du Gros-Chêne que je parcourais au quotidien est devenue la Rue de Bandol et alors que la première était bordée de villas, alors que le long de la seconde, des immeubles sont venus les remplacer.


La disparition de ces maisons ont eu un écho particulier auprès de moi. En effet, la maison fraichement achetée par mes parents, de même que notre quartier « Les Mouilles », semblait être destinés au même sort à moyen-long terme. Plus de 25 ans après l’achat, la maison de mes parents est toujours debout, mais depuis une dizaine d’année la pression à la vente est on ne peut plus insistante. D’ailleurs, plusieurs voisin·e·s ont déjà vendu et des immeubles ont été construits en lieu et place de leur maison et jardin. Dès lors, l’îlots des Mouilles est – comme tant d’autres – largement mité, mais il n’est, je l’espère, pas trop tard pour en conserver la mémoire visuelle, accompagnée, pourquoi pas, de quelques histoires de quartier afin que ces maisons ordinaires, théâtre de la vie de personnes ordinaires, ne soient pas oubliées.